Comprendre la science des systèmes complexes
Qui nous dit que ce que nous croyons simple ne recouvre pas une effroyable complexité ?
Tout système complexe, et cela vaut aussi pour les être humains, se doit de réduire la complexité. Pour se perpétuer, il doit réagir à des transformations de son environnement en disposant d'une complexité interne adaptée.
Les êtres humains n'échappent à cette contrainte qui se fait sentir dès l'interprétation du monde. L'existence de mythes dans toutes les sociétés humaines témoignent de la nécessité de réduire la complexité du monde afin de disposer d'une vision ordonnée de celui-ci.
Cependant, toutes les réductions de la complexité ne se valent pas au plan épistémologique. Face à la complexité élevée et grandissante du monde, l'être humain est tenté de réduire de manière excessive le réel. Nous appellerons simplifications abusives ces appréhensions réductrices de la complexité. Dans ce qui suit, nous allons en examiner quelques formes.
1) Le réductionnisme
2) L'explication par une cause simple ou la pensée magique
Karl Popper a pu montrer que le propre d'une théorie scientifique est son incomplétude explicative. C'est par là que la pensée rationnelle se distingue de la pensée mythologique et de la pensée magique qui ne laisse rien d'inexpliqué. L'être humain est animé d'un irréductible besoin de comprendre dont la satisfaction peut être considérée soit comme un soulagement (Wittgenstein) soit comme une joie (Spinoza). Mais ce besoin peut chercher à se satisfaire à peu de frais par l'explication par une cause simple, souvent imaginaire. Dans sa forme magique et superstitieuse, il peut chercher à tout expliquer à partir d'une unique cause cachée et imaginaire des événements. A l'inverse, la pensée complexe rationnelle doit rendre compte d'un "réseau parfois inextricable de causes et d'effets multiples agissants et rétroagissants" (Atlan 2011: 270-271).
a) La pensée mythologique
b) La mentalité complotiste
Les théories du complot ont pénétré profondément les sociétés contemporaines. Pierre-André Taguieff préfère parler de "mentalité complotiste" pour éviter de nier l'existence de complot. Cette mentalité constitue une illustration d'une simplification abusive à une cause imaginaire. Les travaux de Peter Knight, Michael Barkun ou de Pierre-André Taguieff (Knight 2000; Barkun 2003; Taguieff 2005) permettent de définir la mentalité conspirationniste comme la tendance à attribuer tout événement tragique à un complot ourdi en secret par un individu ou un groupe plus ou moins important. Elle permet d'échafauder une philosophie de l'histoire simplifiée, de donner une clé pour comprendre la marche du monde, d'offrir un récit qui donne un sens à tous les événements,, surtout ceux qui sont inattendus et non voulus. En ce sens, elle est une réduction simplificatrice d'un monde complexe. Elle offre une explication par une unique cause là où est à l'oeuvre un enchevêtrement de multiples causes.
Elle repose sur un certain nombre de principes cognitifs:
- rien n'arrive par hasard
- tout ce qui arrive est le résultat de volontés cachées qui ont planifier l'action
- rien n'est tel qu'il paraît être
- tout est lié de façon occulte
La mentalité conspirationniste se fonde sur une attitude hyperbolique qui hyperbolise le soupçon notamment à l'égard des médias officiels. Elle est favorisée par un biais cognitif qui encourage à voir dans des coïncidences dues au hasard des relations dont le sens s'éclaire à la lumière du projet occulte.
De nombreux facteurs expliquent la progression de la mentalité conspirationniste.
1) Des facteurs psychologiques :
- elle peut revêtir des traits de certaines formes de la paranoïa
- le racisme et les stéréotypes
- en prétendant révéler une vérité cachée, les théories du complot encourage une tendance narcissique à se sentir plus intelligent et supérieur
2) Des facteurs culturels:
- la possibilité d'une large diffusion sur les réseaux sociaux
- l'influence d'une industrie culturelle qui use de schémas narratifs fondés sur le complot (X-Files, Da Vinci Code, Prison Break, etc)
3) Des facteurs socio-historiques
- le refus du capitalisme qui encourage à penser que de grandes entreprises ou des personnes fortunées cherchent à imposer un "nouvel ordre mondial"
- le déclin des croyances religieuses et la défiance à l'égard du progrès qui incitent à réenchanter le monde
- le besoin de faire face à la contingence et à la complexité croissantes et menaçantes du monde. Hannah Arendt voit ainsi dans les théories conspirationnistes une réaction à un monde où "la contingence [...] devenue la loi suprême" et les explique par le fait "que les êtres humains ont besoin de transformer constamment les conditions chaotiques et accidentelles en un schéma d'une relative cohérence" (Arendt 2005: 79)
On pourrait y voir un simple délire paranoïaque inoffensif, n'étaient les conséquences néfastes qu'il peut induire:
- une délégitimation de la démocratie qui est considérée comme une ploutocratie déguisée
- une délégitimation des élites dans la mesure où l'esprit complotiste postule que les pouvoirs politiques, économiques, intellectuels et médiatiques mentent
- le populisme porté par une défiance, voire une révolte du peuple face aux élites.
c)
3) L'inadéquation des explications linéaires
Les explications qui s'efforcent d'appréhender une dynamique complexe et non linéaire à partir d'un modèle linéaire sont inadéquates.
3) L'hypostase
Bibliographie
Hannah Arendt (2005), Le système totalitaire, Paris
Henri Atlan (2011), Le vivant post-génomique. Ou qu'est-ce que l'auto-organisation?, Paris
Michael Barkun (2003), A Culture of Conspiracy: Apocalyptic Visions in Contemporary America, Berkeley
Peter Knight (2000), Conspiracy Theories in American History : An Encyclopedia
Pierre-André Taguieff (2006), L'imaginaire du complot mondial : aspects d'un mythe moderne, Paris